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Le 27 juin 2025, Washington a signé un accord historique entre Kinshasa et Kigali. Derrière la diplomatie, une bataille géoéconomique que l’Europe est en train de perdre.


Trump fait de la géopolitique ce que l’Europe refuse de faire : du pragmatisme

Tandis que l’Europe s’enlise dans ses considérations morales et ses scrupules post-coloniaux, Donald Trump vient de réussir un coup de maître géopolitique en Afrique centrale. L’accord de paix signé ce 27 juin 2025 entre la République démocratique du Congo et le Rwanda sous médiation américaine n’est pas qu’un simple cessez-le-feu. C’est un repositionnement stratégique majeur des États-Unis sur un continent que nous, Européens, considérions naïvement comme notre “pré carré”.

Le principe trumpien “Faites des affaires, pas la guerre” résonne comme un camouflet pour une diplomatie européenne encore empêtrée dans les débats sur la “Françafrique” pendant que les Américains négocient directement l’accès aux minerais stratégiques. La RDC, premier producteur mondial de cobalt avec 76% de l’offre mondiale et détentrice de 3,5% des réserves mondiales de lithium, vient d’ouvrir ses portes non pas à l’Europe, mais aux investisseurs américains.

Les entreprises européennes, grandes perdantes d’un réveil géopolitique tardif

Pour les entreprises européennes présentes en Afrique centrale depuis des décennies, ce réveil américain sonne comme un glas. Pendant que nos multinationales naviguaient entre les contraintes ESG, les injonctions de Bruxelles sur la “due diligence” et les pressions moralisatrices des ONG, les Américains ont compris que la géoéconomie ne se fait pas avec de bons sentiments mais avec des accords pragmatiques.

L’accord signé à Washington prévoit explicitement un “cadre d’intégration économique régionale” avec la mobilisation d’investisseurs américains dans le secteur minier. Traduction : pendant que l’Europe pontifie sur les droits de l’homme, les États-Unis sécurisent leurs approvisionnements en terres rares essentielles à la transition énergétique.

Cette stratégie américaine est d’autant plus redoutable qu’elle s’appuie sur une logique de résultats. Trump a posé une équation simple : la paix contre l’accès aux ressources. Félix Tshisekedi et Paul Kagame, invités prochainement à Washington, ont parfaitement saisi le message. L’ère des leçons de morale européennes cède la place au pragmatisme des affaires américaines.

L’Europe face à ses contradictions : entre valeurs et intérêts

Le paradoxe européen éclate au grand jour. Nos entreprises, champions de la transition verte, se retrouvent privées d’accès privilégié aux matières premières indispensables à cette même transition. Pendant que Bruxelles multiplie les réglementations sur l’origine des minerais “éthiques”, Washington sécurise directement les gisements.

Cette situation révèle l’impasse stratégique européenne en Afrique. Nos dirigeants, obsédés par le “devoir de mémoire” colonial, ont oublié que la géopolitique obéit à des rapports de force, pas à des repentances publiques. Résultat : nos concurrents américains et chinois nous devancent sur un continent où l’Europe disposait d’avantages historiques considérables.

Les entreprises européennes spécialisées dans l’accompagnement des investissements africains doivent aujourd’hui composer avec cette nouvelle donne. Les réseaux d’influence traditionnels, les partenariats historiques et l’expertise culturelle ne suffisent plus face à l’offensive américaine.

Comment l’Europe peut-elle encore jouer ses cartes ?

Face à cette reconfiguration géopolitique majeure, l’Europe dispose encore d’atouts, mais le temps presse. Nos entreprises connaissent le terrain, maîtrisent les subtilités locales et disposent d’infrastructures établies. Mais ces avantages ne seront durables que si l’Europe abandonne sa posture défensive pour adopter une stratégie offensive.

Premier impératif : cesser de considérer l’Afrique comme un objet de politique de développement pour la traiter comme un partenaire stratégique. Les dirigeants africains, pragmatiques, négocient avec ceux qui leur apportent des solutions concrètes, pas des sermons moraux.

Deuxième nécessité : développer une approche géoéconomique assumée. L’accord RDC-Rwanda montre que la stabilité politique devient un préalable aux investissements massifs. L’Europe doit accepter de jouer ce jeu stratégique au lieu de se réfugier derrière des considérations humanitaires.

Troisième urgence : mobiliser nos champions industriels européens sur des projets structurants. La région des Grands Lacs offre des opportunités considérables dans les infrastructures, l’énergie et les télécommunications. Mais nos entreprises ont besoin du soutien politique de Bruxelles, pas de ses obstacles réglementaires.

L’heure du choix : influence ou déclin

L’accord de Washington constitue un test révélateur pour l’Europe. Soit nous acceptons la réalité géopolitique contemporaine et adaptons nos stratégies africaines, soit nous assumons un déclin d’influence qui transformera progressivement nos entreprises en spectateurs de la recomposition du continent.

Les dirigeants européens disposent encore d’une fenêtre d’opportunité. Mais celle-ci se referme rapidement. Trump a montré la voie : en géopolitique, l’efficacité prime sur les bonnes intentions. À nous de décider si l’Europe entend rester un acteur majeur en Afrique ou se contenter du rôle de donneur de leçons que plus personne n’écoute.

L’avenir de nos entreprises sur le continent africain se joue maintenant. Entre l’influence et le déclin, l’Europe doit choisir. Et vite.


Frédéric Chapuis est entrepreneur et spécialiste de l’accompagnement des entreprises européennes en Afrique. Il conseille les directions générales sur les stratégies d’implantation et les enjeux géopolitiques continentaux. En savoir plus.

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